L’air du temps 1: Calque 76
“26. 3. 45. […] En comparaison de la paix qui avait suivi, la guerre avait été une aventure merveilleuse. Elle avait été un grand accouchement dont nous attendions tous une merveille: un monstre était venu au monde.
Il m’est impossible de décrire ce qui servait de toile de fond à la scène sur laquelle nous jouions notre vie. Avec l’évolution de la guerre, [les dirigeants du pays A] avaient changé. Depuis toujours, [le pays B] avait été pour eux le pays de Lords dont il fallait se moquer; [le pays C] seul était estimé à égalité.
Maintenant que la guerre était gagnée, [le pays B] devenait une puissance franchement ennemie, battue et faible, tandis que [le pays C] était le concurrent dans la domination mondiale. Et les paysans de Mora, comme tous les paysans du monde, avaient senti ce changement instinctivement, et le humaient à pleines narines comme un parfum inconnu.
Certainement ce changement ne fut pas l’œuvre des soldats qui le prêchaient. Ils avaient dû y être dressés ou préparés. Quoi qu’il en fût, je ne pouvais plus avouer qu’un de mes beaux-frères était émigré politique, que j’avais des amis dans [le pays B]. Etre ami des [habitants du pays B] était un crime grave. Et nous n’osions même plus parler [la langue du pays B] dans la Petite Maison, car les paysans pouvaient nous dénoncer en tant qu’[amoureux de la langue du pays B].
[…]
Et voilà…
27. 3. 45
Ronchon est parti avant l’aube pour la ville voisine. Lui comme Roudi qui l’accompagnait, avaient encore foi dans la victoire de la vérité, de la justice, de la liberté individuelle, en un mot de tout ce que nos ancêtres avaient gagné au prix de leurs larmes et de leur sang.
Mais nous, depuis que nous avions senti comment le vent tournait, nous étions devenus cyniques. Nous voulions seulement vivre.”
A. Orme.